D’où vient la tradition des arts martiaux japonais ?
Ces arts ont une longue histoire au Japon, des emprunts aux arts du continent asiatique (qui eux-mêmes ont fait du chemin depuis les traces sur des tablettes babyloniennes et le kalarippayatt indien) et plus récemment à l’Occident, et bien des développements locaux.
Ils ont fini par remplacer les arts martiaux locaux de nombreux pays.
Jusqu’au début de l’ère commune, de nombreux groupes venus de Chine et Corée sont venus s’installer au Japon, apportant avec eux, entre autres, techniques et concepts. Entre le 6ième et 9ième siècles, l’arrivée du bouddhisme à la cour impériale vit aussi son lot de nouveaux concepts et techniques (l’introduction des caractères chinois, à la base de l’écriture japonaise par exemple), alors que l’état japonais et la structure de la société japonaise commençaient à émerger.
Les soldats se professionnalisant, les besoins et exigences de l’époque vont pousser au perfectionnement des techniques guerrières.
Après cette période formative, on distingue trois catégories d’arts martiaux : les techniques martiales bujutsu (武術), les techniques qui ont été affinées pour être transmises ou enseignées bugei (武芸), et la voie martiale (art de vie, éthique, philosophie) budō (武道).
« Bu » (武) désigne le guerrier. On retrouve cette racine dans bushi (武士), le guerrier gentilhomme (en charge de la protection des clans familiaux), dérivé du chinois « wushi », ou dans « bushidan » (武士団), ces clans guerriers qui s’affrontèrent à l’époque Heian (平安, 794 à 1185) pour prendre le pouvoir. Le bushi, ou bujin (武人), membre de la caste guerrière qui se forme à l’époque, prendra ensuite le nom de … samouraï (samurai, 侍).
Les arts martiaux japonais, d’abord au service des guerriers, ont évolué pour remplir trois rôles bien distincts : efficacité (violence, effort minimum pour efficacité maximale), symbolisme (religieux, spirituel), et enfin développement de l’individu (philosophie, éthique, rôle sociétal). Certains arts martiaux gardent une composante religieuse, comme le sumō (à la base une cérémonie shinto, célébrant les dieux ou kami).
Avant la restauration de l’empereur Meiji à la tête du pays en 1866, puis l’interdiction du port du sabre (un privilège des samouraïs), les arts martiaux, pratiqués par les samouraïs (ou les rōnin 浪人, samouraï sans maître), sont appelés « koryū bujutsu » (arts traditionnels) ou « kobudō » (古武道 ancien budō). Ils étaient développés pour la classe guerrière, avec une tradition très forte de maître à disciple et un enseignement non standardisé, des attentes fortes sur le comportement des pratiquants, des rouleaux (makimono, 巻物) conservant certaines techniques secrètes, des serments sur l’honneur, des certificats donnant le droit d’enseigner ou attestant d’un niveau.
Dans les koryū bujutsu, on distinguait:
- Des arts à main nue : aikijutsu, kiaijutsu, chikarakurabe (concours de force), chogusoku/genkotsu/hakushi/kogusoku/kumiuchi/ shubaku/wajutsu/torite ou jujutsu, karate, kempo, koshi-no-mawari (faire passer par-dessus la hanche), shikaku (attaques par angle mort), sumai l’ancêtre du sumo, taido/taidojutsu (attaque après évasion)
- Des arts armés
- majeurs :
- tir à l’arc: kyujutsu, kyudo, shagei
- lance: sojutsu, yarijutsu, naginatajutsu, soderagamijutsu, sasumatajutsu
- épée: tojutsu, kenjutsu, kendo, iaijutsu, iaido, tantajutsu
- à cheval: bajutsu, jobajutsu, suibajutsu
- à la nage: suieijutsu, oyogijutsu, katchu gozen oyogi)
- mineurs :
- éventail de guerre: tessenjutsu
- art du bâton long: jojutsu, jodo, tetsubojutsu
- art du jitte: juttejutsu
- secondaires: art de la chaîne et projectiles: kusarijutsu, kusarigamajutsu, manrikikusari, chigirijutsu, gegikanjutsu, yawara (jujutsu et utilisation du yawara, petit projectile tenant dans la main)
- Et des arts ésotériques: ninjutsu, toiri-no-jutsu, shinobijutsu, chikairi-no-jutsu, yubijutsu, koppo, fukihari, suijohokojutsu
- majeurs :
Les arts martiaux qui apparaissent après sont des « gendai budō » (arts martiaux contemporains) – Souvent inspirés par les koryū bujutsu (parfois dans l’espoir de préserver les vieilles traditions martiales, comme ce fut le cas pour le jūdō), ils s’en distinguent par leur méthode de transmission plus ouverte, les rangs (kyu et dan remplacent les certificats des koryū, pas de serment). Tout comme le système éducatif japonais fut complètement réformé, réorganisé, après la révolution de Meiji, l’enseignement des arts martiaux (japonais) et la pédagogie sous-jacente furent complètement refondus au XIXième et XXième siècles.
Les gendai budō regroupent généralement
- l’aikidō (合気道, auto-défense & contrôle de l’adversaire),
- le karate (空手, défense non-armée okinawaïenne),
- le jūdō (柔道, projection et immobilisation en combat rapproché),
- le kyudō (弓道, tir à l’arc),
- le kendō (剣道, art du sabre),
- l’iaidō (居合道, art de tirer le sabre)
- et le jūjutsu (古流柔術, techniques d’immobilisation ayant inspiré une grande partie des arts martiaux japonais).
Les gendai budō (現代武道) ont été développés pour être enseignés – dans les écoles japonaises – L’efficacité de l’art martial devint secondaire devant le développement physique, mental et spirituel du pratiquant. Ils sont apparu à une époque ou le Japon s’ouvre, s’industrialise, se restructure, où anciennes et nouvelles idées se confrontent, dans tous les domaines.
Avant l’ouverture (forcée) des ports en 1854, les japonais avaient commencé à intégrer certaines idées et techniques occidentales, propagées par les rares marchands hollandais autorisés dans le pays. La médecine ‘rampo’ s’était ainsi développé, basé sur les idées en vogue chez les docteurs européens et permit d’introduire les premiers vaccins contre la variole (qui faisait de sévères dégâts depuis des siècles au Japon). 50 ans plus tard, les idées des pédagogues américains, français, anglais, étaient débattues et développées au Japon, …la gymnastique suédoise et le mouvement « scientifique » international (rationalisation , revue des systèmes éducatifs, nutritions, etc) inspirait le gouvernement pour créer des exercices matinaux diffusés dans toutes les villes (souvent dans les temples shinto) encore aujourd’hui (diffusée via les télévisions et radios publiques depuis 70 ans).
[Ces exercices inspirèrent les échauffements de nombreux arts martiaux modernes ensuite]
Dans l’éducation, le sport, la pédagogie, de nombreux concepts, nés de la rencontre entre le Japon et l’Etranger, ont émergé et influencé les « gendai budō« , redéfinissant le rôle de l’enseignant, de l’art martial, du développement personnel, le rôle de la compétition et de l’entraînement, etc.
L’Inde et son yoga, lointain ancêtre des arts martiaux de la zone asiatique, influença aussi les arts martiaux contemporains, à travers l’oeuvre de Tempu Nakamura. Cet ex-espion japonais, garde du corps de Chang Kaï-chek, businessman averti, consacra sa fortune à enseigner le « yoga japonais » et des principes de relaxation, harmonie, coordination du corps et de l’esprit, « art du bonheur », plutôt que continuer dans les affaires. Formé en Inde, après des années à étudier la médecine occidentale en Amérique et en Europe, pour trouver un remède à sa tuberculose (sans remède à l’époque), il créa au Japon le « shin shin toitsu do » ou voie de la coordination corps-esprit.
Il influença grandement la pensée des pédagogues et artistes, des années 30 à 60, dont Tohei Koichi, un de ses disciples, et fondateur du Ki Aïkido, qui reprend ses concepts et tests, exercices de développement, et la notion très japonaise, de Ki.
Des mouvements plus locaux, comme la secte religieuse Ōmoto-kyō, qui reprend les vieux concepts shinto et insiste sur l’importance d’une paix mondiale et l’harmonie entre les peuples, eurent aussi leur impact (le fondateur de l’Aikido enseignait en utilisant de très nombreuses références shinto et a suivi le fondateur d’ Ōmoto-kyō dans les années 20).
Chacun des « gendai budō » a de multiples variations, multiples croisements (ainsi en aikido, on aura des mélanges avec judo, ou karaté, ou kendo, ou yoga, ou gymnastiques suédoises).
Le terme » budō » fut aussi repris par le gouvernement pour représenter l’enseignement de multiples arts martiaux, enseigné par l’association Nippon Budokan – il regroupe:
- les gendai budō
- le sumō (相撲, littéralement, « se frapper mutuellement », compétition rituelle visant à éjecter du sol ou d’un cercle l’adversaire, en se poussant, projetant, frappant),
- le shorinji kempo (version japonaise du kungfu shaolin),
- le naginata (lance longue, surtout pratiquée par les femmes aujourd’hui)
- le jukendō (combat à la baïonnette, inspiré par les armes portugaises importées au 17ième siècle et aux missions militaires françaises du début de l’ère Meiji).
Introduit en Occident depuis 150 ans, les arts martiaux y ont aussi transformé la pratique martiale, ou inspiré de nouveaux arts martiaux (jiu-jitsu brésilien, sambo russe, etc). La pédagogie, le système des rangs, l’aura des sensei et le symbolisme, mêlés à la disparition de certaines traditions martiales avec l’époque moderne, ont permis aux arts martiaux japonais de faire de nombreux adeptes en Occident.
Les arts martiaux japonais se sont aussi transformés au contact des occidentaux, depuis un siècle: en aikido par exemple, Tohei Sensei, l’instructeur en chef dans les années 50 et 60, avouait avoir supprimé 30% des techniques, parce qu’elles marchaient mal sur le corps des occidentaux (il introduisit l’aikido à Hawaii, Etats Unis, etc).
Pendant les années 50, de nombreux arts martiaux japonais furent introduits en Europe, notamment en France et en Angleterre. Des senseis venaient y enseigner le judo, le karate, l’aikido,… et faire progresser leur art, leur pédagogie: nouveau système de grading, ceintures de couleurs, adaptation des techniques à des corps différents, confrontation des techniques avec des locaux à qui il faut prouver leur efficacité, …
C’est près de Londres que Sensei K. Williams débuta en aikido (après une carrière en judo) sous la direction d’Abbe Sensei, venu enseigner le budo japonais en Angleterre. Il fut le premier assistant non-japonais d’un sensei japonais, plus jeune 3ieme dan non japonais, à l’époque, puis National Coach du British Aikido council. Après des années à développer l’enseignement de l’aikido en Angleterre et au pays de Galles, Sensei K. Williams parti au Japon pour rencontrer et pratiquer avec Tohei Sensei
Il fonda la Ki Federation of Great Britain à la fin des années 70. 10 ans plus tard, il quitta Tohei Sensei, pour enseigner le Ki Aikido avec une pédagogie plus adaptée à l’esprit occidental.
20 ans plus tard, certains de ses élèves ont créé l’Association Française de Ki Aikido, qui vous accueillent sur Paris…
Et aujourd’hui, vous êtes sur cette page de l’AFKA…
Demain, venez voir sur les tatamis, c’est encore mieux !